Les Chandelles 

J'ai une relation tendue avec mon portable. Impossible de m'en passer malgré ses défauts, dont une batterie défaillante. Ce matin, je reçois un mail de Flo Castels qui me demande de confirmer par SMS notre rendez-vous de cet après-midi, prévu depuis quinze jours. Hélas, mon téléphone est mort de faim. Je le mets en charge et je passe à autre chose.

Dommage.

J'aurais bien voulu aller aux Chandelles.

Je ne viens pas si souvent à Paris.

Et puis nous avions prévu de tricoter un récit à partir de notre petite virée.

J'avais trouvé ça tellement incroyable, la dernière fois que nous avions fait une sortie ensemble, qu'il ait longuement raconté cette anecdote de notre aventure à laquelle je n'avais pas prêté attention sur le coup et dont je ne me souvenais même plus. Vraiment incroyable, ce délacage. Important pour lui, insignifiant pour moi... Précisément, c'est ce décalage que son récit avait mis en évidence, ce décalage qu'il y a si souvent entre les hommes et les femmes dans les explorations libertines à deux, simples amis ou couple fusionnel, qui vivent les choses sur des plans totalement séparés... C'est juste que ça ne m'avait jamais paru aussi flagrant que lorsque j'ai lu ce récit d'un fragment de notre sortie sur le blog de M.Chapeau.

Lorsque j'ai planifié de retourner à Paris, je lui ai proposé de raconter notre prochaine sortie en écrivant séparément et en confrontant ensuite nos récits. L'idée lui a plu.

J'étais donc doublement ravie, de découvrir les Chandelles et de jouer à ce jeu d'écritures contradictoires.

Mais voilà. Aucune nouvelle d'Olivier alias M.Chapeau. C'est très étonnant. L'heure de rendez-vous était fixée. Il devait me confirmer notre point de rencontre. Rien.

L'après-midi est déjà entamée quand je me souviens de mon téléphone. J'envoie le message et je vais dans la salle de bain pour me préparer.

Tout de même, il aurait pu essayer de me prévenir d'une façon ou d'une autre. Je ne peux m'empêcher d'avoir un réflexe de reine des abeilles, de me dire que les hommes avec lesquels j'aurais pu sortir ne manquent pas, et qu'il est vraiment regrettable que je n'aie pas prévu un plan B. Mais le projet de rédaction commune m'amuse autant que de sortir et dans ces conditions, Olivier Chapeau n'est pas interchangeable.

Si bien qu'en guise de plan B, me me voilà simplement dans le métro en direction de l'ouverture du Salon du livre à laquelle j'ai été invitée. Cela me plaît beaucoup également, de me replonger dans l'efferverscence de l'édition parisienne. Mais bon. J'avais prévu d'y aller un peu plus tard dans la soirée, après cette fameuse sortie en after work, pas d'y arriver si tôt.

Je pourrais très bien sortir seule mais je ne me sens pas suffisamment dans mon élément pour ça. En sauna, pourquoi pas? Mais en club, seule? A tourner, discuter au bar... Cela ne me dit rien. Je n'avais pas prévu de solution de repli en sauna. Je vais donc profiter plus tôt que prévu du Salon du livre, où je promènerai, sagement rangés dans mon sac, cette petite robe sexy et ces escarpins que j'avais prévus pour le club. Et les Chandelles, ça sera pour une autre fois.

Ongles coupés, barbe rasée, bain pris, habillé, chocolat chaud bu, je me dirige vers la gare. En route, je repense à ce que nous avons prévu. C'est la deuxième fois que je fais visiter un club parisien à cette habitante de terres plus ensoleillées. Elle viendra peut-être accompagnée d'un couple de circonstance. Je me demande à quoi la femme ressemblera, si elle me plaira, si je lui plairais.

Dreling!

Un texto. Et un autre. Il m'attend à la sortie du métro. Pyramides. Portable en charge. Rendez-vous à 19H. Je ne comprends pas bien mais il est 19h10 et je démèlerai plus tard les raisons de ces problèmes de transmission de textos. Un coup d'oeil sur le plan du métro. Je suis à 2 stations de Pyramides. Tout va donc à peu près bien. Il m'attendra un peu. Je lui confirme que j'arrive.

Sorti de la bouche de métro, je me pose à un coin de rue et j'attends. Le temps passe. Flo m'envoie un message me prévenant qu'elle arrive, mais qu'elle était sur le départ pour ailleurs. Mon SMS de début d'après-midi lui est arrivé tardivement.
L'after-work des Chandelles ferme ses portes à 21 heures. Il est 19 heures passées, ce qui ne va pas nous laisser beaucoup de temps sur place. Bah, peu importe. C'est juste une visite après tout.

Hop hop, et m'y voilà.

Flo sort du métro. Elle est seule.

Tiens, il ne porte pas de chapeau!

"Ah non, pour entrer aux Chandelles, le chapeau n'est pas terrible." Bon

Nous nous embrassons rapidement sur la joue, puis partons pour le club. L'absence des débutants va nous faire gagner du temps en discussion préalable.

Nous devisons à propos de tout et de rien et des problèmes de communication, sur le court chemin qui nous mène au club.

L'entrée est très discrète. Caméras. Nous en plaisantons.

On (Bernard) vient nous ouvrir et on nous prévient que l'espace club ferme bientôt - pour permettre le service du restaurant coquin - et qu'il n'y a plus que quelques couples et plusieurs hommes seuls. Peu importe. Nous entrons.

Dès le premier coup d'oeil, je suis séduite par la décoration, l'ambiance, l'accueil. Je le suis encore plus en constatant qu'une petite cabine est prévue pour que les femmes changent de tenue. C'est si rare. Le plus souvent, il faut se caler au comptoir ou sur une corbeille de linge au milieu des clients qui arrivent, en manquant de trébucher et en songeant que Wonder Woman a bien de la chance, parce que les éléments techniques de sa métamorphose échappent à ceux qu'elle doit impressionner - il est en effet toujours difficile de passer pour une déesse auprès d'un homme qui vous a vue 10 minutes avant en train de vous dépétrer avec grand mal de l'inévitable boudinage de votre robe ultra moulante ou de vous emmêler dans le laçage complexe de vos glamourissimes souliers. Cela manque cruellement de confort et de mise en scène.

Après avoir franchi le sas et l'épreuve du physionomiste, je pioche un bonbon à la menthe dans une coupe pendant que Flo se change. J'imagine que ces douceurs sont là pour effacer l'odeur du sexe de la bouche des adultères qui viennent s'encanailler en club libertin, afin de pouvoir embrasser innocemment femme et enfants une fois de retour à la maison. La douche a le même usage.

Je me prépare à mon aise, en savourant l'enfilage de ma petite robe et de mes escarpins et en me préparant pour l'effet de ma sortie.

Ma cavalière ressort de sa cabine en robe rouge, tout légère. Elle est pétillante.

Effet réussi. D'ailleurs, pour marquer son approbation sur mon allure, Bernard nous demande l'autorisation de me faire un bisou dans le cou.

Accordée bien sûr. 

Ces quelques minutes de l'entrée en matière m'ont ravie. Mais pour autant, l'heure avancée, le fait que je vienne là pour la première fois, et d'autres circonstances font que je suis convaincue que je ne profiterai pas des lieux dans leur aspect sexuel ce soir.

Nous descendons.

Olivier me fait découvrir la configuration des lieux.

Nous descendons les marches précautionneusement, puis je lui fais faire le tour du club, occupant une ancienne cave. La visite est vite terminée, l'endroit ne brillant pas par son volume. Un bar, un couloir, deux salles dotées de plusieurs lits, des sanitaires et voilà.

J'ai besoin de prendre un peu d'intimité aux toilettes. Je lui dis que je lui expliquerai pourquoi. C'est l'époque de mes règles et je dois gérer mes éponges végétales. Lorsque je ressors, plusieurs hommes sont dans le couloir, à l'affut. Il me le fait remarquer. Finalement, je ne lui explique pas mes affaires d'éponges et nous continuons notre parcours.

L'essentiel n'est pas là, mais dans le décor et la disposition. Des tentures bleues, des lumières douces, des verroteries. Des espaces ouverts partout. Une salle aux miroirs, des menottes aux murs.

Ce club est magnifique, tout en tentures et raffinement, avec des proportions qui le rendent accueillant. Les photos que j'en avais vu m'avaient donné une certaine impression de grandiloquence. Mais cette impression n'est pas du tout confirmée par ma promenade dans les espaces de plaisir, qui me le rend tout de suite familier. Je suis surprise aussi qu'il y ait si peu d'alcôves. Mais leur proximité et leur configuration les rend propices à une ambiance torride. Un endroit à taille humaine, de toute beauté, qui donne envie, simplement.

Des emballages et des préservatifs par terre... Nous arrivons après la bataille !

Les combattants sont au fumoir ou au bar, riant de leurs exploits. Quelques couples, des hommes. Nous passons relativement inaperçus de ces gens repus, mais d'autres nous abordent, les yeux luisant d'envie.

Nous nous dirigeons vers le bar. Des yeux captent notre arrivée. Un seul couple et plusieurs hommes seuls. Nous commandons des consommations.

Nous décidons de prendre d'abord un verre, de prendre la température des lieux qu'elle découvre, de poursuivre de vive voix nos discussions épistolaires.

Nous parlons de nous, du libertinage, de nos expériences récentes, de nos relations sentimentales aussi.

Un homme s'approche. Il trouve une opportunité pour me parler. Non, vraiment, je n'ai pas envie de sexe, là, maintenant, ni avec lui, ni avec d'autres. Mais je fais remarquer à Olivier que vue la tournure que prennent les choses, notre récit à 4 mains risque de manquer de substance.

Lors de notre première rencontre, je ne connaissais pas le club choisi. Tout à la découverte, il ne s'était rien passé entre nous. Cette fois, je suis en terrain connu. Enfin, relativement connu, ce n'est que la troisième fois que je passe les portes des Chandelles.

Bref, je suis plus à l'aise que je ne l'ai été à l'Atlantide, et me pose donc la question : et s'il se passait quelque chose ? Ma cavalière est jolie, je n'ai pas l'air de lui déplaire outre mesure ...

Nous continuons notre séjour au bar et notre conversation vagabonde.

Je profite d'une pause dans la conversation pour lui poser délicatement la main sur sa cuisse.

Je sens sa main sur ma jambe, qui me caresse doucement. Tiens! Une envie comme ça ou une stratégie réfléchie? Dans tous les cas, je suis bien, sur mon tabouret de bar, à bavarder. Et le sexe n'est toujours pas dans mes perspectives. Non pas qu'Olivier ne me tente pas. Au contraire. Surtout sa voix. Je la trouve incroyablement sexy, grave avec des inflexions tout en rondeurs, qui me rendent curieuse d'entendre ses gémissements intimes. Mais non, pas là.

Elle s'en étonne. Fait une remarque, pas du tout négative, mais pas franchement positive non plus. Neutre.

"Pourquoi tu mets ta main sur ma jambe?" 

Bien sûr, c'est idiot comme question. Et pas très diplomate. J'aurais pu être plus nuancée. Mais la complicité que nous avons m'a incitée à le formuler simplement, sans détours ni complexes. Il me semble que nous avons déjà eu suffisamment de joutes et de piques épistolaires pour pouvoir nous passer de certaines formes. 

Elle se laisse caresser, mais sans réciproque. Évitons le syndrome du backrubber. L'instant est passé, je retire ma main et lance un nouveau sujet.

Il ôte sa main et nous continuons ainsi.

L'heure de la fermeture approche. 20 minutes.

Nos verres terminés, nous constatons que nous sommes le dernier couple en piste et que la plupart des hommes seuls sont repartis vers leurs pénates. Il n'en reste que quatre ou cinq, qui tournent, attendant de voir si nous sommes des touristes ou des joueurs. L'un d'eux, plus téméraire, nous aborde et engage la conversation.

Un des hommes qui nous observe depuis un bon moment s'enhardit : "Mon ami et moi avons fait un pari." Ils ont parié sur le fait que je porte une culotte. Mouais, bon.

Sans savoir comment, nous nous retrouvons à parler de culottes, ou plutôt de leur absence. L'homme est habille, il affirme avoir parié avec un ami que Flo n'en portait pas. Et tel saint Thomas, il ne croit que ce qu'il voit. Ou ce qu'il ne voit pas, le cas échéant.

La stratégie manque peut-être un peu de finesse.Mais il est tard et c'est dit sur un air tellement bon enfant que cela me fait sourire. C'est juste un petit jeu de plus pour eux, sans rien en attendre de toutes façons.

L'approche est sympathique, même si l'objectif du monsieur est transparent comme de l'eau de roche.

Après avoir essayé d'esquiver la question, je leur propose d'y répondre par des actes.

Je m'engage vers l'estrade et la barre, à peine éclairées.

Ma cavalière, particulièrement culottée, au figuré du moins, se prend au jeu et grimpe sur l'estrade. 

D'autres hommes nous rejoignent.

Bon, maintenant que je suis là, il va bien falloir que je fasse quelque chose.

La musique est douce. J'ai envie de continuer à être en phase avec la délicieuse atmosphère feutrée de ce club.

Alors j'improvise un effeuillage à la Betty Page - avec des formes très différentes, bien entendu - en tous cas avec ce que j'aime des shows que j'ai vus d'elle. Ondulations de marionnette à fils, petits pas, humour, sourires... L'ambiance s'y prête.

Elle entame un striptease, sous les vivats et les encouragements des clients.

Elle progresse lentement, d'autant plus qu'elle ne porte pas grand-chose sur elle et que trop d'empressement couperait court à la fête.

 Je fais durer les choses. Longuement. Je n'ai VRAIMENT que ma petite robe sur moi.  

Assis sur le fauteuil le plus proche de la scène, j'admire ce corps qui se dévoile par à-coup. Pourtant, je ne suis pas un grand amateur d'effeuillage. La position de spectateur est trop passive à mon goût, elle me laisse un sentiment de frustration plutôt que d'excitation. De plus, j'ai facilement la crainte que la femme qui se déshabille ne le fasse que pour me faire plaisir, qu'elle se force. 

Ce n'est pas le cas ce soir. Flo s'amuse visiblement. Elle joue des attentes des hommes dans un premier temps, puis s'exhibe une fois en tenue d’Ève, la feuille de vigne étant remplacée par un coussin. 

Au moment d'enlever tout à fait ma robe, j'avise un coussin qui vient la remplacer à l'endroit de leur source de curiosité. Et je prolonge encore le jeu avec mon petit coussin. 

Sa robe rouge a atterri sur mes genoux. 

Et puis cela se termine. 

Nue, elle descend de sa scène.

C'est drôle, ils m'applaudissent. Je me demande ce qu'il y a dans ces applaudissements-là. Libération d'une frustration ou vraie satisfaction?

Alors que je l'aide à se rhabiller, nous décidons de partir. La cloche sonne dans dix minutes, trop peu pour envisager autre chose.

Les hommes sont déçus, mais beaux joueurs. Pendant que Flo est occupée en coulisse à retrouver une tenue civile, ils défilent à la caisse, me félicitent et me remercient au passage. J'accepte, bien que n'ayant rien fait pour mériter ces amabilités, et les remercie en retour de leur courtoisie.

Une fois dehors, nous marchons un peu au hasard, le temps de nous rendre compte que nous suivons chacun l'autre comme s'il savait où il allait. Alors, nous fixons un cap. Ce n'est plus le sexe ou le libertinage qui nous accapare, mais un sujet plus trivial, et pourtant pas moins capital : le fromage de chèvre !


 

Bonus pour ceux qui auraient été frustrés du manque cruel de sexe de ce texte :

"Ahhh, tu la sens ma grosse bite?" "Oui"

Voilà.

  

 

Mercredi 9 mai 3 09 /05 /Mai 20:00

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